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segunda-feira, 10 de janeiro de 2011

Vous qui avez écrit qu'il n'y a plus en terre

Vous qui avez écrit qu'il n'y a plus en terre
De nymphe porte-flèche errante par les bois,
De Diane chassante, ainsi comme autrefois
Elle avait fait aux cerfs une ordinaire guerre,

Voyez qui tient l'épieu ou échauffe l'enferre ?
Mon aveugle fureur, voyez qui sont ces doigts
D'albâtre ensanglantés, marquez bien le carquois,
L'arc et le dard meurtrier, et le coup qui m'atterre,

Ce maintien chaste et brave, un cheminer accort.
Vous diriez à son pas, à sa suite, à son port,
A la face, à l'habit, au croissant qu'elle porte,

A son oeil qui domptant est toujours indompté,
A sa beauté sévère, à sa douce beauté,
Que Diane me tue et qu'elle n'est pas morte.


Théodore Agrippa d' Aubigné

Les princes n'ont point d'yeux pour voir ces grand's merveilles,
Leurs mains ne servent plus qu' à nous persécuter . . .


(Agrippa D' Aubigné: À Dieu)

quinta-feira, 6 de janeiro de 2011

A longs filets de sang ce lamentable corps

A longs filets de sang ce lamentable corps
Tire du lieu qu'il fuit le lien de son âme,
Et séparé du coeur qu'il a laissé dehors,
Dedans les forts liens et aux mains de sa dame,
Il s'enfuit de sa vie et cherche mille morts.

Plus les rouges destins arrachent loin du coeur
Mon estomac pillé, j'épanche mes entrailles
Par le chemin qui est marqué de ma douleur.
La beauté de Diane ainsi que des tenailles
Tirent l'un d'un côté, l'autre suit le malheur.

Qui me voudra trouver détourne par mes pas,
Par les buissons rougis, mon corps de place en place,
Comme un vaneur baissant la tête contre bas
Suit le sanglier blessé aisément à la trace,
Et le poursuit à l'oeil jusqu'au lieu du trépas.

Diane, qui voudra me poursuivre en mourant,
Qu'on écoute les rocs résonner mes querelles,
Qu'on suive pour mes pas de larmes un torrent,
Tant qu'on trouve séché de mes peines cruelles
Un coffre, ton portrait, et rien au demeurant.

Les champs sont abreuvés après moi de douleurs,
Le souci, l'encolie, et les tristes pensées
Renaissent de mon sang et vivent de mes pleurs,
Et des cieux les rigueurs contre moi courroucées
Font servir mes soupirs à éventer ses fleurs.

Un bandeau de fureur épais presse mes yeux
Qui ne discernent plus le danger ni la voie,
Mais ils vont effrayant de leur regard les lieux
Où se trame ma mort, et ma présence effraie
Ce qu'embrassent la terre et la voûte des cieux. [...]


Théodore Agrippa d' Aubigné

Épitaphe

Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.

C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu ? "


Gérard de Nerval

quarta-feira, 5 de janeiro de 2011

Le malheur

Suivi du Suicide impie,
A travers les pâles cités,
Le Malheur rôde, il nous épie,
Prés de nos seuils épouvantés.
Alors il demande sa proie ;
La jeunesse, au sein de la joie,
L'entend, soupire et se flétrit ;
Comme au temps où la feuille tombe,
Le vieillard descend dans la tombe,
Privé du feu qui le nourrit.

Où fuir ? Sur le seuil de ma porte
Le Malheur, un jour, s'est assis ;
Et depuis ce jour je l'emporte
A travers mes jours obscurcis.
Au soleil et dans les ténèbres,
En tous lieux ses ailes funèbres
Me couvrent comme un noir manteau ;
De mes douleurs ses bras avides
M'enlacent ; et ses mains livides
Sur mon coeur tiennent le couteau.

J'ai jeté ma vie aux délices,
Je souris à la volupté ;
Et les insensés, mes complices
Admirent ma félicité.
Moi-même, crédule à ma joie,
J'enivre mon coeur, je me noie
Aux torrents d'un riant orgueil ;
Mais le Malheur devant ma face
A passé : le rire s'efface,
Et mon front a repris son deuil.

En vain je redemande aux fêtes
Leurs premiers éblouissements,
De mon coeur les molles défaites
Et les vagues enchantements :
Le spectre se mêle à la danse ;
Retombant avec la cadence,
Il tache le sol de ses pleurs,
Et de mes yeux trompant l'attente,
Passe sa tête dégoûtante
Parmi des fronts ornés de fleurs.

Il me parle dans le silence,
Et mes nuits entendent sa voix ;
Dans les arbres il se balance
Quand je cherche la paix des bois.
Près de mon oreille il soupire;
On dirait qu'un mortel expire :
Mon coeur se serre épouvanté.
Vers les astres mon oeil se lève,
Mais il y voit pendre le glaive
De l'antique fatalité.

Sur mes mains ma tête penchée
Croit trouver l'innocent sommeil.
Mais, hélas ! elle m'est cachée,
Sa fleur au calice vermeil.
Pour toujours elle m'est ravie,
La douce absence de la vie ;
Ce bain qui rafraîchit les jours ;
Cette mort de l'âme affligée,
Chaque nuit à tous partagée,
Le sommeil m'a fui pour toujours

Ah ! puisqu'une éternelle veille
Brûle mes yeux toujours ouverts,
Viens, ô Gloire ! ai-je dit ; réveille
Ma sombre vie au bruit des vers.
Fais qu'au moins mon pied périssable
Laisse une empreinte sur le sable.
La Gloire a dit : "Fils de douleur,
"Où veux-tu que je te conduise ?
"Tremble ; si je t'immortalise,
"J'immortalise le Malheur."

Malheur ! oh ! quel jour favorable
De ta rage sera vainqueur ?
Quelle main forte et secourable
Pourra t'arracher de mon coeur,
Et dans cette fournaise ardente,
Pour moi noblement imprudente,
N'hésitant pas à se plonger,
Osera chercher dans la flamme,
Avec force y saisir mon âme,
Et l'emporter loin du danger ?


Alfred de Vigny

Le Mont des Oliviers

I


Alors il était nuit et Jésus marchait seul,
Vêtu de blanc ainsi qu'un mort de son linceul ;
Les disciples dormaient au pied de la colline.
Parmi les oliviers qu'un vent sinistre incline
Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux ;
Triste jusqu'à la mort; l'oeil sombre et ténébreux,
Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe
Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe ;
Connaissant les rochers mieux qu'un sentier uni,
Il s'arrête en un lieu nommé Gethsémani :
Il se courbe, à genoux, le front contre la terre,
Puis regarde le ciel en appelant : Mon Père !
- Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas.
Il se lève étonné, marche encore à grands pas,
Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente
Découle de sa tête une sueur sanglante.
Il recule, il descend, il crie avec effroi :
Ne pouviez-vous prier et veiller avec moi !
Mais un sommeil de mort accable les apôtres,
Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres.
Le fils de l'homme alors remonte lentement.
Comme un pasteur d'Egypte il cherche au firmament
Si l'Ange ne luit pas au fond de quelque étoile.
Mais un nuage en deuil s'étend comme le voile
D'une veuve et ses plis entourent le désert.
Jésus, se rappelant ce qu'il avait souffert
Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son coeur mortel d'une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement il appela trois fois :
MON PÈRE ! - Le vent seul répondit à sa voix..
Il tomba sur le sable assis et, dans sa peine,
Eut sur le monde et l'homme une pensée humaine.
- Et la Terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du créateur.

II

Jésus disait : " Ô Père, encor laisse-moi vivre !
Avant le dernier mot ne ferme pas mon livre !
Ne sens-tu pas le monde et tout le genre humain
Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main ?
C'est que la Terre a peur de rester seule et veuve,
Quand meurt celui qui dit une parole neuve ;
Et que tu n'as laissé dans son sein desséché
Tomber qu'un mot du ciel par ma bouche épanché.
Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle,
Qu'il a comme enivré la famille mortelle
D'une goutte de vie et de Divinité,
Lorsqu'en ouvrant les bras j'ai dit : FRATERNITE !

- Père, oh ! si j'ai rempli mon douloureux message,
Si j'ai caché le Dieu sous la face du Sage,
Du Sacrifice humain si j'ai changé le prix,
Pour l'offrande des corps recevant les esprits,
Substituant partout aux choses le Symbole,
La parole au combat, comme au trésor l'obole,
Aux flots rouges du Sang les flots vermeils du vin,
Aux membres de la chair le pain blanc sans levain ;
Si j'ai coupé les temps en deux parts, l'une esclave
Et l'autre libre ; - au nom du Passé que je lave
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir :
Versons-en la moitié pour laver l'avenir !


Père Libérateur ! jette aujourd'hui, d'avance,
La moitié de ce Sang d'amour et d'innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :
"Il est permis pour tous de tuer l'innocent."
Nous savons qu'il naîtra, dans le lointain des âges,
Des dominateurs durs escortés de faux Sages
Qui troubleront l'esprit de chaque nation
En donnant un faux sens à ma rédemption. -
Hélas ! je parle encor que déjà ma parole
Est tournée en poison dans chaque parabole ;
Eloigne ce calice impur et plus amer
Que le fiel, ou l'absinthe, ou les eaux de la mer.
Les verges qui viendront, la couronne d'épine,
Les clous des mains, la lance au fond de ma poitrine,
Enfin toute la croix qui se dresse et m'attend,
N'ont rien, mon Père, oh ! rien qui m'épouvante autant !
- Quand les Dieux veulent bien s'abattre sur les mondes,
Es n'y doivent laisser que des traces profondes,
Et si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet
Dont le gémissement sans repos m'appelait,
C'était pour y laisser deux anges à ma place
De qui la race humaine aurait baisé la trace,
La Certitude heureuse et l'Espoir confiant
Qui dans le Paradis marchent en souriant.
Mais je vais la quitter, cette indigente terre,
N'ayant que soulevé ce manteau de misère
Qui l'entoure à grands plis, drap lugubre et fatal,
Que d'un bout tient le Doute et de l'autre le Mal.

Mal et Doute ! En un mot je puis les mettre en poudre ;
Vous les aviez prévus, laissez-moi vous absoudre
De les avoir permis. - C'est l'accusation
Qui pèse de partout sur la Création !
- Sur son tombeau désert faisons monter Lazare.
Du grand secret des morts qu'il ne soit plus avare
Et de ce qu'il a vu donnons-lui souvenir,
Qu'il parle. - Ce qui dure et ce qui doit finir ;
Ce qu'a mis le Seigneur au coeur de la Nature,
Ce qu'elle prend et donne à toute créature ;
Quels sont, avec le Ciel, ses muets entretiens,
Son amour ineffable et ses chastes liens ;
Comment tout s'y détruit et tout s'y renouvelle
Pourquoi ce qui s'y cache et ce qui s'y révèle ;
Si les astres des cieux tour à tour éprouvés
Sont comme celui-ci coupables et sauvés ;
Si la Terre est pour eux ou s'ils sont pour la Terre ;
Ce qu'a de vrai la fable et de clair le mystère,
D'ignorant le savoir et de faux la raison ;
Pourquoi l'âme est liée en sa faible prison ;
Et pourquoi nul sentier entre deux larges voies,
Entre l'ennui du calme et des paisibles joies
Et la rage sans fin des vagues passions,
Entre la Léthargie et les Convulsions ;
Et pourquoi pend la Mort comme une sombre épée
Attristant la Nature à tout moment frappée ;
- Si le Juste et le Bien, si l'Injuste et le Mal
Sont de vils accidents en un cercle fatal
Ou si de l'univers ils sont les deux grands pôles,
Soutenant Terre et Cieux sur leurs vastes épaules ;
Et pourquoi les Esprits du Mal sont triomphants
Des maux immérités, de la mort des enfants ;
- Et si les Nations sont des femmes guidées
Par les étoiles d'or des divines idées
Ou de folles enfants sans lampes dans la nuit,
Se heurtant et pleurant et que rien ne conduit ;
- Et si, lorsque des temps l'horloge périssable
Aura jusqu'au dernier versé ses grains de sable,
Un regard de vos yeux, un cri de votre voix,
Un soupir de mon coeur, un signe de ma croix,
Pourra faire ouvrir l'ongle aux Peines Eternelles,
Lâcher leur proie humaine et reployer leurs ailes ;
- Tout sera révélé dés que l'homme saura
De quels lieux il arrive et dans quels il ira. "

III

Ainsi le divin fils parlait au divin Père.
Il se prosterne encore, il attend, il espère,
Mais il renonce et dit : Que votre Volonté
Soit faite et non la mienne et pour l'Eternité.
Une terreur profonde, une angoisse infinie
Redoublent sa torture et sa lente agonie.
Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir.
Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir.
La Terre sans clartés, sans astre et sans aurore,
Et sans clartés de l'âme ainsi qu'elle est encore,
Frémissait. - Dans le bois il entendit des pas,
Et puis il vit rôder la torche de Judas.

Le silence

S'il est vrai qu'au Jardin sacré des Ecritures,
Le Fils de l'Homme ait dit ce qu'on voit rapporté ;
Muet, aveugle et sourd au cri des créatures,
Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté,
Le juste opposera le dédain à l'absence
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.


Alfred de Vigny

Artémis

La Treizième revient... C'est encor la première ;
Et c'est toujours la Seule, - ou c'est le seul moment :
Car es-tu Reine, ô Toi! la première ou dernière ?
Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant ? ...

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;
Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement :
C'est la Mort - ou la Morte... Ô délice ! ô tourment !
La rose qu'elle tient, c'est la Rose trémière.

Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule,
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux ?

Roses blanches, tombez ! vous insultez nos Dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
- La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux !


Gérard de Nerval

Le Temps

Ode

I

Le Temps ne surprend pas le sage ;
Mais du Temps le sage se rit,
Car lui seul en connaît l'usage ;
Des plaisirs que Dieu nous offrit,
Il sait embellir l'existence ;
Il sait sourire à l'espérance,
Quand l'espérance lui sourit.

II

Le bonheur n'est pas dans la gloire,
Dans les fers dorés d'une cour,
Dans les transports de la victoire,
Mais dans la lyre et dans l'amour.
Choisissons une jeune amante,
Un luth qui lui plaise et l'enchante ;
Aimons et chantons tour à tour !

III

" Illusions ! vaines images ! "
Nous dirons les tristes leçons
De ces mortels prétendus sages
Sur qui l'âge étend ses glaçons ; "
" Le bonheur n'est point sur la terre,
Votre amour n'est qu'une chimère,
Votre lyre n'a que des sons ! "

IV

Ah ! préférons cette chimère
A leur froide moralité ;
Fuyons leur voix triste et sévère ;
Si le mal est réalité,
Et si le bonheur est un songe,
Fixons les yeux sur le mensonge,
Pour ne pas voir la vérité.

V

Aimons au printemps de la vie,
Afin que d'un noir repentir
L'automne ne soit point suivie ;
Ne cherchons pas dans l'avenir
Le bonheur que Dieu nous dispense ;
Quand nous n'aurons plus l'espérance,
Nous garderons le souvenir.

VI

Jouissons de ce temps rapide
Qui laisse après lui des remords,
Si l'amour, dont l'ardeur nous guide,
N'a d'aussi rapides transports :
Profitons de l'adolescence,
Car la coupe de l'existence
Ne pétille que sur ses bords !

(1824)


Gérard de Nerval

L'enfance

 Qu'ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
je coulai ma douce existence,
Sans songer au lendemain.
Que me servait que tant de connaissances
A mon esprit vinssent donner l'essor,
On n'a pas besoin des sciences,
Lorsque l'on vit dans l'âge d'or !
Mon coeur encore tendre et novice,
Ne connaissait pas la noirceur,
De la vie en cueillant les fleurs,
Je n'en sentais pas les épines,
Et mes caresses enfantines
Étaient pures et sans aigreurs.
Croyais-je, exempt de toute peine
Que, dans notre vaste univers,
Tous les maux sortis des enfers,
Avaient établi leur domaine ?


Nous sommes loin de l'heureux temps
Règne de Saturne et de Rhée,
Où les vertus, les fléaux des méchants,
Sur la terre étaient adorées,
Car dans ces heureuses contrées
Les hommes étaient des enfants.


(1822)


Gérard de Nerval

segunda-feira, 3 de janeiro de 2011

«On peut  compter l'âge du corps,
Mais trouverais-je un autre champ
Entre mon enfance et ma mort?»


Patrice de la Tour du Pin, Poèmes de Calsehenne

segunda-feira, 7 de junho de 2010

Myrtho

Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
A ton front inondé des clartés d'Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l'or de ta tresse.

C'est dans ta coupe aussi que j'avais bu l'ivresse,
Et dans l'éclair furtif de ton oeil souriant,
Quand aux pieds d'Iacchus on me voyait priant,
Car la Muse m'a fait l'un des fils de la Grèce.

Je sais pourquoi là-bas le volcan s'est rouvert...
C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile,
Et de cendres soudain l'horizon s'est couvert.

Depuis qu'un duc normand brisa tes dieux d'argile,
Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
Le pâle hortensia s'unit au myrte vert !


Gérard de Nerval
Les Chimères
La Bohême galante
Petits châteaux de Bohême
(1854)

quarta-feira, 2 de junho de 2010

POST-SCRIPTUM

I
Mais pourquoi de leur cendre évoquer ces journées
Que les dédains publics effacent en passant?
Entre elles et ce jour ont marché douze années :
Oublions et la faute et la fuite et le sang,
Et les corruptions des pâles adversaires
-Non. Dans l'histoire il est de noirs anniversaires
Dont le spectre revient pour troubler le présent.

II
Il revient quand l'orgueil des obstinés coupables
Sort du limon confus des Révolutions
Où pêle-mêle on voit tomber les incapables,
Pour nous montrer encor ses vieilles passions
Et hurler à grands cris quelque sombre horoscope
. -En observant la vase aux feux d'un microscope,
On voit dans les serpents ces agitations.

III
S'agiter et blesser est l'instinct des vipères;
L'homme ainsi contre l'homme a son instinct fatal :
Il retourne ses dards et nourrit ses colères
Au réservoir caché de son poison natal.
Dans quelque cercle obscur qu'on les ait vus descendre,
Homme ou serpent, blottis sous le verre ou la cendre,
Mordront le diamant ou mordront le cristal
.
IV
Le Cristal, c'est la vue et la clarté du JUSTE,
Du principe éternel de toute vérité,
L'examen de soi-même au tribunal auguste
Où la Raison, l'Honneur, la Bonté, l'Equité,
La Prévoyance à l'oeil rapide et la Science
Délibèrent en paix devant la Conscience
Qui, jugeant l'action, régit la Liberté.

V
Toujours sur ce Cristal, rempart des grandes âmes,
La langue du sophiste ira heurter son dard.
Qu'il se morde lui-même en ses détours infâmes,
Qu'il rampe aveugle et sourd dans l'éternel brouillard.
Oublié, méprisé, qu'il conspire et se torde,
Ignorant le vrai Beau, qu'il le souille et qu'il morde
Ce Diamant que cherche en vain son faux regard.

VI
Le Diamant? c'est l'art des choses idéales,
Et ses rayons d'argent, d'or, de pourpre et d'azur
Ne cessent de lancer les deux lueurs égales
Des pensers les plus beaux, de l'amour le plus pur.
Il porte du Génie et transmet les empreintes.
Oui, de ce qui survit aux Nations éteintes
C'est lui le plus brillant trésor et le plus dur.


28 mars 1862.


Alfred de Vigny (1797-1863)

terça-feira, 1 de junho de 2010

La Maison du Berger

I

Si ton coeur, gémissant du poids de notre vie,
Se traîne et se débat comme un aigle blessé,
Portant comme le mien, sur son aile asservie,
Tout un monde fatal, écrasant et glacé;
S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle,
S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle,
Éclairer pour lui seul l'horizon effacé;
Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme,
Lasse de son boulet et de son pain amer,
Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame,
Penche sa tête pâle et pleure sur la mer,
Et, cherchant dans les flots une route inconnue,
Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue,
La lettre sociale écrite avec le fer;

Si ton corps, frémissant des passions secrètes,
S'indigne des regards, timide et palpitant;
S'il cherche à sa beauté de profondes retraites
Pour la mieux dérober au profane insultant;
Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges,
Si ton beau front rougit de passer dans les songes
D'un impur inconnu qui te voit et t'entend,

Pars courageusement, laisse toutes les villes;
Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin;
Du haut de nos pensers vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.

La Nature t'attend dans un silence austère;
L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,
Et le soupir d'adieu du soleil à la terre
Balance les beaux lis comme des encensoirs.
La forêt a voilé ses colonnes profondes,
La montagne se cache, et sur les pâles ondes
Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.

Le crépuscule ami s'endort dans la vallée
Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon,
Sous les timides joncs de la source isolée
Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon,
Se balance en fuyant dans les grappes sauvages,
Jette son manteau gris sur le bord des rivages,
Et des fleurs de la nuit entr'ouvre la prison.

Il est sur ma montagne une épaisse bruyère
Où les pas du chasseur ont peine à se plonger,
Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière,
Et garde dans la nuit le pâtre et l'étranger.
Viens y cacher l'amour et ta divine faute;
Si l'herbe est agitée ou n'est pas assez haute,
J'y roulerai pour toi la Maison du Berger.

Elle va doucement avec ses quatre roues,
Son toit n'est pas plus haut que ton front et tes yeux;
La couleur du corail et celle de tes joues
Teignent le char nocturne et ses muets essieux.
Le seuil est parfumé, l'alcôve est large et sombre,
Et, là, parmi les fleurs, nous trouverons dans l'ombre,
Pour nos cheveux unis, un lit silencieux.

Je verrai, si tu veux, les pays de la neige,
Ceux où l'astre amoureux dévore et resplendit,
Ceux que heurtent les vents, ceux que la neige assiège,
Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit.
Nous suivrons du hasard la course vagabonde.
Que m'importe le jour? que m'importe le monde?
Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit.

Que Dieu guide à son but la vapeur foudroyante
Sur le fer des chemins qui traversent les monts,
Qu'un Ange soit debout sur sa forge bruyante,
Quand elle va sous terre ou fait trembler les ponts
Et, de ses dents de feu, dévorant ses chaudières,
Transperce les cités et saute les rivières,
Plus vite que le cerf dans l'ardeur de ses bonds

Oui, si l'Ange aux yeux bleus ne veille sur sa route,
Et le glaive à la main ne plane et la défend,
S'il n'a compté les coups du levier, s'il n'écoute
Chaque tour de la roue en son cours triomphant,
S'il n'a l'oeil sur les eaux et la main sur la braise
Pour jeter en éclats la magique fournaise,
Il suffira toujours du caillou d'un enfant.

Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle,
L'homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor
Quels orages en lui porte ce rude aveugle,
Et le gai voyageur lui livre son trésor,
Son vieux père et ses fils, il les jette en otage
Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage,
Qui les rejette en cendre aux pieds du Dieu de l'or.

Mais il faut triompher du temps et de l'espace,
Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux.
L'or pleut sous les chardons de la vapeur qui passe,
Le moment et le but sont l'univers pour nous.
Tous se sont dit : " Allons ! " Mais aucun n'est le maître
Du dragon mugissant qu'un savant a fait naître ;
Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous.

Eh bien ! que tout circule et que les grandes cause
Sur des ailes de feu lancent les actions,
Pourvu qu'ouverts toujours aux généreuses choses,
Les chemins du vendeur servent les passions.
Béni soit le Commerce au hardi caducée,
Si l'Amour que tourmente une sombre pensée
Peut franchir en un jour deux grandes nations.

Mais, à moins qu'un ami menacé dans sa vie
Ne jette, en appelant, le cri du désespoir,
Ou qu'avec son clairon la France nous convie
Aux fêtes du combat, aux luttes du savoir ;
A moins qu'au lit de mort une mère éplorée
Ne veuille encor poser sur sa race adorée
Ces yeux tristes et doux qu'on ne doit plus revoir,

Evitons ces chemins. - Leur voyage est sans grâces,
Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air.
Ainsi jetée au loin, l'humaine créature
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,
Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair.

On n'entendra jamais piaffer sur une route
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu ;
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute,
Le rire du passant, les retards de l'essieu,
Les détours imprévus des pentes variées,
Un ami rencontré, les heures oubliées
L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu.

La distance et le temps sont vaincus. La science
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.
Le Monde est rétréci par notre expérience
Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit.
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid.

Jamais la Rêverie amoureuse et paisible
N'y verra sans horreur son pied blanc attaché ;
Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible
Versent un long regard, comme un fleuve épanché ;
Qu'elle interroge tout avec inquiétude,
Et, des secrets divins se faisant une étude,
Marche, s'arrête et marche avec le col penché.


II
Poésie ! ô trésor ! perle de la pensée !
Les tumultes du coeur, comme ceux de la mer,
Ne sauraient empêcher ta robe nuancée
D'amasser les couleurs qui doivent te former.
Mais sitôt qu'il te voit briller sur un front mâle,
Troublé de ta lueur mystérieuse et pâle,
Le vulgaire effrayé commence à blasphémer.

Le pur enthousiasme est craint des faibles âmes
Qui ne sauraient porter son ardeur ni son poids.
Pourquoi le fuir ? - La vie est double dans les flammes.
D'autres flambeaux divins nous brûlent quelquefois :
C'est le Soleil du ciel, c'est l'amour, c'est la Vie ;
Mais qui de les éteindre a jamais eu l'envie ?
Tout en les maudissant, on les chérit tous trois.

La Muse a mérité les insolents sourires
Et les soupçons moqueurs qu'éveille son aspect.
Dès que son oeil chercha le regard des Satyres,
Sa parole trembla, son serment fut suspect,
Il lui fut interdit d'enseigner la Sagesse.
Au passant du chemin elle criait : Largesse !
Le passant lui donna sans crainte et sans respect.

Ah ! fille sans pudeur, fille du Saint Orphée,
Que n'as-tu conservé ta belle gravité !
Tu n'irais pas ainsi, d'une voix étouffée,
Chanter aux carrefours impurs de la cité,
Tu n'aurais pas collé sur le coin de ta bouche
Le coquet madrigal, piquant comme une mouche,
Et, près de ton oeil bleu, l'équivoque effronté.

Tu tombas dès l'enfance, et, dans la folle Grèce,
Un vieillard, t'enivrant de son baiser jaloux,
Releva le premier ta robe de prêtresse,
Et, parmi les garçons, t'assit sur ses genoux.
De ce baiser mordant ton front porte la trace ;
Tu chantas en buvant dans les banquets d'Horace,
Et Voltaire à la cour te traîna devant nous.

Vestale aux feux éteints ! les hommes les plus graves
Ne posent qu'à demi ta couronne à leur front ;
Ils se croient arrêtés, marchant dans tes entraves,
Et n'être que poète est pour eux un affront.
Ils jettent leurs pensers aux vents de la tribune,
Et ces vents, aveuglés comme l'est la Fortune,
Les rouleront comme elle et les emporteront.

Ils sont fiers et hautains dans leur fausse attitude,
Mais le sol tremble aux pieds de ces tribuns romains.
Leurs discours passagers flattent avec étude
La foule qui les presse et qui leur bat des mains
Toujours renouvelé sous ses étroits portiques,
Ce parterre ne jette aux acteurs politiques
Que des fleurs sans parfums, souvent sans lendemains.

Ils ont pour horizon leur salle de spectacle ;
La chambre où ces élus donnent leurs faux combats
Jette en vain, dans son temple, un incertain oracle,
Le peuple entend de loin le bruit de leurs débats
Mais il regarde encor le jeu des assemblées
De l'oeil dont ses enfants et ses femmes troublées
Voient le terrible essai des vapeurs aux cent bras.

L'ombrageux paysan gronde à voir qu'on dételle,
Et que pour le scrutin on quitte le labour.
Cependant le dédain de la chose immortelle
Tient jusqu'au fond du coeur quelque avocat d'un jour.
Lui qui doute de l'âme, il croit à ses paroles.
Poésie, il se rit de tes graves symboles.
Ô toi des vrais penseurs impérissable amour !

Comment se garderaient les profondes pensées
Sans rassembler leurs feux dans ton diamant pur
Qui conserve si bien leurs splendeurs condensées ?
Ce fin miroir solide, étincelant et dur ;
Reste des nations mortes, durable pierre ;
Qu'on trouve sous ses pieds lorsque dans la poussière
On cherche les cités sans en voir un seul mur.

Diamant sans rival, que tes feux illuminent
Les pas lents et tardifs de l'humaine raison !
Il faut, pour voir de loin les Peuples qui cheminent,
Que le Berger t'enchâsse au toit de sa Maison.
Le jour n'est pas levé. - Nous en sommes encore
Au premier rayon blanc qui précède l'aurore
Et dessine la terre aux bords de l'horizon.

Les peuples tout enfants à peine se découvrent
Par-dessus les buissons nés pendant leur sommeil,
Et leur main, à travers les ronces qu'ils entr'ouvrent,
Met aux coups mutuels le premier appareil.
La barbarie encor tient nos pieds dans sa gaîne.
Le marbre des vieux temps jusqu'aux reins nous enchaîne,
Et tout homme énergique au dieu Terme est pareil.

Mais notre esprit rapide en mouvements abonde,
Ouvrons tout l'arsenal de ses puissants ressorts.
L'invisible est réel. Les âmes ont leur monde
Où sont accumulés d'impalpables trésors.
Le Seigneur contient tout dans m deux bras immenses,
Son Verbe est le séjour de nos intelligences,
Comme ici-bas l'espace est celui de nos corps.

III
Eva, qui donc es-tu? Sais-tu bien ta nature?
Sais-tu quel est ici ton but et ton devoir?
Sais-tu que, pour punir l'homme, sa créature,
D'avoir porté la main sur l'arbre du savoir,
Dieu permit qu'avant tout, de l'amour de soi-même,
En tout temps, à tout âge, il fît son bien suprême,
Tourmenté de s'aimer, tourmenté de se voir?
Mais si Dieu près de lui t'a voulu mettre, ô femme!
Compagne délicate! Éva! sais-tu pourquoi?
C'est pour qu'il se regarde au miroir d'une autre âme,
Qu'il entende ce chant qui ne vient que de toi:
-- L'enthousiasme pur dans une voix suave.
C'est afin que tu sois son juge et son esclave
Et règnes sur sa vie en vivant sous sa loi.

Ta parole joyeuse a des mots despotiques;
Tes yeux sont si puissants, ton aspect est si fort,
Que les rois d'Orient ont dit dans leurs cantiques
Ton regard redoutable à l'égal de la mort;
Chacun cherche à fléchir tes jugements rapides ...
-- Mais ton coeur, qui dément tes formes intrépides,
Cède sans coup férir aux rudesses du sort.

Ta pensée a des bonds comme ceux des gazelles,
Mais ne saurait marcher sans guide et sans appui.
Le sol meurtrit ses pieds, l'air fatigue ses ailes,
Son oeil se ferme au jour dès que le jour a lui;
Parfois, sur les hauts lieux d'un seul élan posée,
Troublée au bruit des vents, ta mobile pensée
Ne peut seule y veiller sans crainte et sans ennui.

Mais aussi tu n'as rien de nos lâches prudences,
Ton coeur vibre et résonne au cri de l'opprimé,
Comme dans une église aux austères silences
L'orgue entend un soupir et soupire alarmé.
Tes paroles de feu meuvent les multitudes,
Tes pleurs lavent l'injure et les ingratitudes,
Tu pousses par le bras l'homme ... Il se lève armé.

C'est à toi qu'il convient d'ouïr les grandes plaintes
Que l'humanité triste exhale sourdement.
Quand le coeur est gonflé d'indignations saintes,
L'air des cités l'étouffe à chaque battement.
Mais de loin les soupirs de tourmentes civiles,
S'unissant au-dessus du charbon noir des villes,
Ne forment qu'un grand mot qu'on entend clairement.

Viens donc! le ciel pour moi n'est plus qu'une auréole
Qui t'entoure d'azur, t'éclaire et te défend;
La montagne est ton temple et le bois sa coupole;
L'oiseau n'est sur la fleur balancé par le vent,
Et la fleur ne parfume et l'oiseau ne soupire,
Que pour mieux enchanter l'air que ton sein respire;
La terre est le tapis de tes beaux pieds d'enfant.

Éva, j'aimerai tout dans les choses créées,
Je les contemplerai dans ton regard rêveur
Qui partout répandra ses flammes colorées,
Son repos gracieux, sa magique saveur:
Sur mon coeur déchiré viens poser ta main pure,
Ne me laisse jamais seul avec la Nature;
Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.

Elle me dit: «Je suis l'impassible théâtre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs;
Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs; à peine
Je sens passer sur moi la comédie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

«Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.

«Avant vous, j'étais belle et toujours parfumée,
J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers:
Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,
Sur l'axe harmonieux des divins balanciers;
Après vous, traversant l'espace où tout s'élance,
J'irai seule et sereine, en un chaste silence
Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers.»

C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe,
Et dans mon coeur alors je la hais, et je vois
Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe
Nourrissant de leurs sucs la racine des bois.
Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes:
«Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes,
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.»

Oh! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse,
Ange doux et plaintif qui parle en soupirant?
Qui naîtra comme toi portant une caresse
Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant,
Dans les balancements de ta tête penchée,
Dans ta taille dolente et mollement couchée,
Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant?

Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse
Sur nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi;
Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse,
L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi;
Plus que tout votre règne et que ses splendeurs vaines,
J'aime la majesté des souffrances humaines;
Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi.

Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente,
Rêver sur mon épaule, en y posant ton front?
Viens du paisible seuil de la maison roulante
Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront.
Tous les tableaux humains qu'un Esprit pur m'apporte
S'animeront pour toi quand devant notre porte
Les grands pays muets longuement s'étendront.

Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre
Sur cette terre ingrate où les morts ont passé;
Nous nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre,
Où tu te plais à suivre un chemin effacé,
A rêver, appuyée aux branches incertaines,
Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines,
Ton amour taciturne et toujours menacé.


Alfred de Vigny (1797-1863)

quarta-feira, 19 de maio de 2010

Si je suis poète ou acteur ce n'est pas
pour écrire ou déclamer des poésies,
mais pour les vivre.


Antonin Artaud. Oeuvres complètes IX: Les Tarahumaras. Paris: Gallimard, 1979, p. 154

sábado, 24 de abril de 2010

Dans l'abri-caverne

Je me jette vers toi et il me semble aussi que tu te jettes vers moi
Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude
Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir
En face de moi la paroi de craie s'effrite
Il y a des cassures
De longues traces d'outils traces lisses et qui semblent être faites dans de la stéarine
Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce
Moi j'ai ce soir une âme qui s'est creusée qui est vide
On dirait qu'on y tombe sans cesse et sans trouver de fond
Et qu'il n'y a rien pour se raccrocher
Ce qui y tombe et qui y vit c'est une sorte d'êtres laids qui me font mal et qui viennent de je ne sais où
Oui je crois qu'ils viennent de la vie d'une sorte de vie qui est dans l'avenir dans l'avenir brut qu'on n'a pu encore cultiver ou élever ou humaniser
Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire
C'est aujourd'hui c'est ce soir et non toujours
Heureusement que ce n'est que ce soir
Les autres jours je me rattache à toi
Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs
En imaginant ta beauté
Pour l'élever au-dessus de l'univers extasié
Puis je pense que je l'imagine en vain
Je ne la connais par aucun sens
Ni même par les mots
Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain
Existes-tu mon amour
Ou n'es-tu qu'une entité que j'ai créée sans le vouloir
Pour peupler la solitude
Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s'ennuyer
Je t'adore ô ma déesse exquise même si tu n'es que dans mon imagination


Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)

Arbre

À Frédéric Boutet.


Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent
Où sont les aveugles où s'en sont-ils allés
La seule feuille que j'aie cueillie s'est changée en plusieurs mirages
Ne m'abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché
Ispahan s'est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu
Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon

Je n'ai pas oublié le son de la clochette d'un marchand de coco d'autrefois
J'entends déjà le son aigre de cette voix à venir
Du camarade qui se promènera avec toi en Europe
Tout en restant en Amérique

Un enfant
Un veau dépouillé pendu à l'étal
Un enfant
Et cette banlieue de sable autour d'une pauvre ville au fond de l'est
Un douanier se tenait là comme un ange
À la porte d'un misérable paradis
Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d'attente des premières

Engoulevent Blaireau
Et la Taupe-Ariane
Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien
Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi
Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver armé

Tu t'es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme
Intelligence car voilà ce que c'est qu'une femme intelligente
Et il ne faudrait pas oublier les légendes
Dame-Abonde dans un tramway la nuit au fond d'un quartier désert
Je voyais une chasse tandis que je montais
Et l'ascenseur s'arrêtait à chaque étage

Entre les pierres
Entre les vêtements multicolores de la vitrine
Entre les charbons ardents du marchand de marrons
Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen
Il y a ton image

Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande

Ce beau nègre en acier

La plus grande tristesse
C'est quand tu reçus une carte postale de La Corogne
Le vent vient du couchant
Le métal des caroubiers
Tout est plus triste qu'autrefois
Tous les dieux terrestres vieillissent
L'univers se plaint par ta voix
Et des êtres nouveaux surgissent
Trois par trois


Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)

segunda-feira, 19 de abril de 2010

Les poètes

Au siècle qui s'en vient hommes et femmes fortes
Nous lutterons sans maîtres au loin des cités mortes
Sur nous tous les jours le guillotiné d'en haut
Laissera le sang pleuvoir sur nos fronts plus beaux.

Les poètes vont chantant Noël sur les chemins
Célébrant la justice et l'attendant demain
Les fleurs d'antan se sont fanées et l'on n'y pense plus
Et la fleur d'aujourd'hui demain aura vécu.

Mais sur nos cœurs des fleurs séchées fleurs de jadis
Sont toujours là immarcescibles à nos cœurs tristes
Je marcherai paisible vers les pays fameux
Où des gens s'en allaient aux horizons fumeux

Et je verrai les plaines où les canons tonnèrent
Je bercerai mes rêves sur les vastes mers
Et la vie hermétique sera mon désespoir
Et tendre je dirai me penchant vers Elle un soir

Dans le jardin les fleurs attendent que tu les cueilles
Et est-ce pas ? ta bouche attend que je la veuille ?
Ah ! mes lèvres ! sur combien de bouches mes lèvres ont posé
Ne m'en souviendrai plus puisque j'aurai les siennes

Les siennes Vanité ! Les miennes et les siennes
Ah ! sur combien de bouches les lèvres ont posé
Jamais jamais heureux toujours toujours partir
Nos pauvres yeux bornés par les grandes montagnes

Par les chemins pierreux nos pauvres pieds blessés
Là-bas trop [près] du but notre bâton brisé
Et la gourde tarie et la nuit dans les bois
Les effrois et les lèvres l'insomnie et les voix

La voix d'Hérodiade en rut et amoureuse
Mordant les pâles lèvres du Baptiste décollé
Et la voix des hiboux nichés au fond des yeuses
Et l'écho qui rit la voix la voix des en allés

Et la voix de folie et de sang le rire triste
De Macbeth quand il voit au loin la forêt marcher
Et ne songe pas à s'apercevoir des reflets d'or
Soleil des grandes lances des dendrophores


Guillaume Apollinaire

Tristesse d'une étoile

Une belle Minerve est l'enfant de ma tête
Une étoile de sang me couronne à jamais
La raison est au fond et le ciel est au faîte
Du chef où dès longtemps Déesse tu t'armais

C'est pourquoi de mes maux ce n'était pas le pire
Ce trou presque mortel et qui s'est étoilé
Mais le secret malheur qui nourrit mon délire
Est bien plus grand qu'aucune âme ait jamais celé

Et je porte avec moi cette ardente souffrance
Comme le ver luisant tient son corps enflammé
Comme au cœur du soldat il palpite la France
Et comme au cœur du lys le pollen parfumé


Guillaume Apollinaire

terça-feira, 13 de abril de 2010

Comédie de la Soif / 1. Les Parents

Nous sommes tes Grand-Parents
Les Grands!
Couverts des froides sueurs
De la lune et des verdures.
Nos vins secs avaient du coeur!
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l'homme? boire.

Moi - Mourrir aux fleuves barbares.

Nous sommes tes Grand-Parents
Des champs.
L'eau est au fond des osiers:
Vois le courant du fossé
Autour du Château mouillé.
Descendons en nos celliers;
Après, le cidre et le lait.

Moi - Aller où boivent les vaches

Nous sommes tes Grand-Parents;
Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires
Le Thé, le Café, si rares,
Frémissent dans les bouilloires.
- Vois les images, les fleus.
Nous rentrons du cimetière.

Moi - Ah! tarir toutes les urnes!


Rimbaud in Poésies complètes (1870 - 1872). Introduction, chronologie, bibliographie, notices et notes par Pierre Brunel. Le Livre De Poche. pp. 232.

segunda-feira, 29 de março de 2010

L'esprit

Éternelles Ondines
Divisez l'eau fine.
Vénus, soeur de l'azur,
Émeus le flot pur.

Juifs errants de Norwège
Dites-mois la neige.
Anciens exilés chers,
Dites-moi la mer.

Moi - Non, plus ces boissons pures,
Ces fleurs d'eau pour verres
Légendes ni figures
Ne me désaltèrent

Cansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle
Hydre intime sans gueules
Qui mine et désole.


Rimbaud in Poésies complètes (1870 - 1872). Introduction, chronologie, bibliographie, notices et notes par Pierre Brunel. Le Livre De Poche. pp. 233.
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