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«L’Océan des rêves. “Les Iles enchantées” sont peut-être un rêve de marin. Le film en tout cas baigne dans une image merveilleuse comme un songe perdu qui puise sa substance dans la mémoire aristocratique des premiers éléments. «L’inconscient maritime est un inconscient parlé, un inconscient qui se disperse dans les récits d’aventures, un inconscient qui ne dort pas. Il perd donc tout de suite ses forces oniriques. Il est moins profond que cet inconscient qui songe autour d’expériences communes et qui continue dans les rêves de la nuit des interminables rêveries du jour. La mythologie de la mer touche rarement aux origines de la fabulation.” Voilà certainement exprimée une limite inférieure de la réflexion bachelardienne sur l’imagination de la matière. On sait que Gaston Bachelard est profondément ce que Melville eût appelé un terrien. Bachelard pense toujours aux poètes de la terre, à l’eau de la terre, à l’eau douce qu’il nomme “la véritable eau mythique”. Rêver de la mer est pour lui un scandale impardonnable car le sel est une perversion: “Le sel entrave une rêverie, la rêverie de la douceur, une des rêveries les plus matérielles et les plus naturelles qui soient.” “La rêverie gardera toujours un privilège à l’eau douce, à l’eau qui désaltère.” Il oubliait Melville […]. C’est que l’œuvre de Melville offre un démenti exact à la critique de l’eau salée: à la fois onirique, mythique et fabuleuse, elle montre bien que Melville est un rêveur de la mer, ce que Vilardebo, en y ajoutant son propre rêve, a bien senti et traduit, contre Bachelard, dans son premier long métrage.
La rêverie de Vilardebo est triple: c’est d’abord un rêve sur Melville, ensuite sur la mer, enfin sur la terre ambiguë de l’ile. Son film est résolument et courageusement en dehors, il surgit d’une poèsie diurne au-delà de laquelle le silence, l’unique silence des objets forme un point d’orgue vers l’horizon où les éléments se fondent dans le gris absolu de l’interrogation. “Les Iles enchantées” sont un rêve sur Melville: au lieu de prendre un roman et de l’adapter, Vilardebo rencontre un auteur, il adopte Melville, quitte à transformer ses histoires, c’est-à-dire à les penser à travers la forme, à en changer la forme, ici par le cinéma. La poèsie cosmique de Melville est portée à l’image et par l’image qui reflète une sensation, une série sensible. Vilardebo arrive à créer une sorte d’irréalité belle et menaçante pourtant parce qu’il ne cherche pas à créer l’illusion de la réalité mais la réalité de l’illusion. […]
C’est un film en outre où le space prend sa véritable dimension d’inquiétude: le paysage est un pays sans cesse nouveau sur lequel l’œil revient comme la mer sur le rivage. Le poème prend son sens quand l’histoire n’est plus qu’un infini incompréhensible, voire inutile: on se trouve alors devant le poème primitif, anhistorique. […]
Dès le début du film on sait qu’un drame ou une tragédie vont éclater. C’est sur le rivage qu’ont lieu, tour à tour, le suicide du marin, le duel d’honneur, le débarquement d’Hunila (Hunila ches Melville), l’abandon des chiens qui peupleront les nuits insulaires de leurs aboiements dérisoires. Autant de drames qui privilégient le rivage, et le bateau aimmobilisé par l’absence de vent semble se mesurer à cette ligne impondérable où l’eau fait place à la terre. Quand les marins, quand Melville est quand Vilardebo se sont longtemps perdus dans la fascination des iles enchantées, alors le mystère mérite de prendre la forme vivante d’une femme muette sous les traits d’Amalia Rodriguez. Hunila réunit en elle toute l’inquiétude de l’archipel, de ces iles nommées assurément par dérision “enchantées”. Elle est la tragédie et la fabulation à la fois, et apparait comme l’incarnation de toutes les attentes : Hunila est la première femme, la femme essentielle qui est à la mesure de l’océan et qui peut lui répondre. La caméra jusqu’ici descriptive, décrivait des arcs de cercle, elle peut maiontenant venir se fixer sur le visage de cette femme unique. A cette admirable création de Melville, Vilardebo a très habilement ajouté un ange sous l’apparence de Pierre Clementi. Cet ange est une tentation: il apparait entouré de lumière dans la blancheur de son innocence, comme un rêve de plus. Il est venu de l’eau mais il semble tombé du ciel quand on le voit pour la première fois sur les rochers de la terre. […]
Ce film révèle un cinèaste chez qui l’artisan rivalise avec le poéte. […]»
Paul-Louis Martin, «L’océan des rêves», Cahiers du Cinéma, Paris, numéro 180, Juillet 1966, pp. 71-72. ''
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